Beverly Jo Scott
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Beverly, notre précédente interview remonte au premier spectacle «Planet Janis» que tu avais créé, à Paris, au New-Morning (le 1er décembre 2004). Aujourd’hui, tu poursuis ta route avec ce même show. T’attendais-tu à un tel succès et continuer de tourner avec ce concept en 2010 ?
C’est une bonne question…
Oui et non, j’ai monté ce spectacle en souhaitant prendre la route en sa compagnie à n’importe quel moment et en espérant le faire tourner jusqu’à la fin de mes jours.
Il est toujours demandé et je me fais un plaisir de poursuivre l’aventure avec, quasiment, la même équipe que lorsque je me produis avec mes propres chansons.
Cela fait six ans que le spectacle existe et que les gens le réclament… Je suis donc contrainte d’alterner entre des spectacles qui regroupent mes compositions et celui-ci qui rend compte d‘une certaine «atmosphère Janis Joplin». Ce show tient bien la route, j’en suis très fière…

Le spectacle a-t-il beaucoup évolué depuis ses débuts. As-tu ajouté des choses, en as-tu retirées d’autres ?
Les chansons évoluent par elles-mêmes. Evidement, depuis le New-Morning, ça a beaucoup changé…
Nous ne faisons jamais deux fois la même chose. Je reste imprévisible en ce qui concerne ce que je vais dire au public sur scène. Les titres interprétés changent également… Je peux, par exemple, alterner entre «The Man I Love» et «My Funny Valentine». Il m’arrive aussi de demander à Slim Batteux (claviers et chœurs) de chanter, en duo avec moi, un titre différent de Bob Dylan.
Cela dépend également des invités que je reçois sur scène. Ce soir, je suis «guest less» (sans invité) mais cela ne veut pas dire que le show est moins intéressant car, de ce fait, je peux ajouter quelques chansons que je ne fais pas systématiquement.

Outre l’aspect musical, on sent que tu voues un grand respect au personnage de Janis Joplin. Vous avez, toutes les deux, trimbalées de «lourdes valises de blues» durant vos existences respectives. Qu’est-ce qui te touche le plus chez elle ?
Je suis certaine que la chose qui me touche le plus chez elle est la sincérité qui l’habitait en entrant sur scène. Ses concerts étaient sans frontières, sans barrières, sans tabous…
Elle disait ce qu’elle pensait et mettait en exergue son côté sauvage et abandonné. Un côté que seules les femmes peuvent avoir, la volonté d’aller au bout des choses…
Il y a des femmes comme cela en politique, dans la mode, dans la musique…
On trouve de cette «force féminine» partout sur la planète. Cette émotion me touche particulièrement. C’est, peut être, pour cela que je suis une des rares femmes qui aiment les femmes…

 

Durant ton enfance, aux USA, as-tu eu l’occasion de voir Janis Joplin sur scène ?
Non, car je n’avais que onze ans quand elle est décédée. Je n’ai donc jamais eu l’opportunité de la voir.
Nous avons, comme point commun, d’être toutes deux issues du sud des Etats-Unis et d’avoir fait face à des préjugés qui touchaient les femmes libérées. C’est une chose qui, encore aujourd’hui, n’est pas évidente aux Etats-Unis. C’est la même situation que pour un chien dans un jardin. L’espace peut s’élargir mais, au bout d’un moment, tu tombes toujours sur des clôtures.
C’est par le biais de la radio que j’ai découvert cette artiste, c’est tout…

Cette année, nous célébrons les 40 ans de sa disparition. Selon toi, qu’est-ce qui fait qu’elle soit toujours aussi actuelle ?
C’est une chose qui arrive souvent quand de jeunes gens meurent en pleine ascension. Ils restent figés dans cette énergie, dans leur jeunesse et dans l’image qu’ils reflétaient au moment de leurs disparitions.
C’est cette énergie que les médias continuent de montrer quand ils évoquent Janis. Elle était rigolote, n’avait que 27 ans et a été la première femme à monter sur scène pour se donner à fond. Elle a créé ses propres vêtements et a lancé une mode à elle toute seule. C’était la première voix féminine libre, elle reste cette référence. Ce qu’elle a fait et son énergie doivent nous servir de tremplin !

Est-ce qu’elle t’a permis, à l’instar d’autres artistes de sa génération, de découvrir des chanteuses de blues plus anciennes?
Oui bien sûr, c’est une chose qui était très à la mode dans les années 1960-70.
On revenait aux sources du blues et de la culture afro-américaine. Ce mouvement (Led Zeppelin, Rolling Stones etc…) a déteint sur moi. C’est ainsi que j’ai été confrontée aux vieux blues.
C’est aussi la musique que j’entendais à la radio, chez moi, à Mobile en Alabama. J’étais entourée de blues, de gospel et de country music.

Tu profites de ce concert pour, outre rendre hommage à Janis, saluer certains artistes de sa génération comme Bob Dylan ou Otis Redding. Ce sont des artistes que tu apprécies particulièrement…
Oui, absolument… surtout Otis Redding !
Je ne me fatigue jamais de l’écouter chanter, tout comme Sam Cooke ou encore Percy Sledge…
Tout en étant sophistiqués, ces gens possédaient une grande classe quand il s’agissait de livrer leurs émotions. Ils étaient formidables !
C’est pour cette raison que le spectacle se nomme «Planet Janis». C’est afin de présenter l’univers de cette chanteuse et son époque. Toutes les choses qui ont pu l’influencer quand elle était jeune.
Tout ce qui a permis de façonner ce personnage flamboyant qui nous a quittés à l’âge de 27 ans.

Était-il facile, pour toi, de revendiquer ton amour des musiques afro-américaines lorsque tu étais enfant en Alabama ? Vu de France, on a cette image d’un état encore très conservateur à l’époque…
Je pouvais écouter ce que je voulais. Si mes grands-parents parlaient du blues comme étant une «musique de nègres», ils étaient les premiers à écouter un bon titre doux d’Otis Redding. Ma mère adorait Nat King Cole… La chose la plus importante, à l’époque, était d’écouter une bonne chanson.
A titre personnel, on me foutait la paix avec cela… Si j’écoutais la musique trop fort on m’engueulait et, de ce fait, je l’écoutais seule dans mon coin. Tout comme les adolescents d’aujourd’hui, rien n’a changé…
Il y avait des clubs partout. Les blancs avaient le leur ainsi que les noirs, mais les musiciens qui s’y produisaient étaient les mêmes. Nous pouvions, ainsi, écouter beaucoup de musiques différentes.
A Mardi Gras c’était la «big fiesta» avec de la musique soul, du rythm & blues, du cajun un peu partout. Tous les styles étaient mélangés… On était en plein dedans, nous ne pouvions pas y échapper (rires) !

Quelle est la chanson de Janis qui te ressemble le plus ? Quand tu es sur scène, y-a-t-il un titre que tu vis plus intensément que les autres ?
Il y a deux titres de Janis Joplin que je vis très «fortement». Il s’agit de «Misery’N» et de «Kosmic Blues». Il y en a des tas d’autres que j’adore et que je ne fais pas encore dans le spectacle. L’année prochaine je compte, un peu, changer le répertoire. Cela fera plaisirs aux spectateurs qui reviendront nous voir mais aussi à toute l’équipe musicale. Nous feront, peut être, aussi un ou deux autres titres de Bob Dylan…
Notre seule exigence est de ne pas interpréter une chanson qui a vu le jour après la disparition de Janis. Il faut que ce soit quelque chose qu’elle aurait pu entendre et que ces titres aient été créés par des artistes qu’elle citait comme références.
Un jour je risque de surprendre tout le monde et de faire un morceau d’Edith Piaf. Janis l’écoutait en boucle…
On ne sait jamais avec moi (rires) !

Tu dis que le spectacle va encore se poursuivre dans les années qui viennent. Ce doit être formidable pour une artiste de pouvoir faire tourner un tel concept aussi longtemps. Par contre, n’est-ce pas trop «handicapant» pour le reste de ta carrière, n’as-tu pas peur de rester «enfermée» dans cette image ?
Non, pas du tout car je continue d‘interpréter mes propres chansons sur scène.
J’ai encore fait un concert en solo la semaine passée…
Je me produis en acoustique ou dans une formule plus rock. Finalement, le show «Planet Janis», je le fais quand je le veux. C’est en fonction des périodes…
Par exemple, le CD live vient de sortir et c’est l’occasion de «marquer le coup». Ceci afin de se souvenir de cette fille et de pas mal d’autres gens, qui sont morts à la même époque dans le cadre «d’expériences» qui se sont mal terminées.
Ce spectacle a, aussi, pour but de montrer que le mythe n’est pas dans la drogue ou dans l’alcool. Il se trouve dans le travail et dans l’art. C’est dans ce qu’on laisse derrière nous et, à ce titre, il est important de briser l’image et de regarder l’œuvre.
Ce n’est pas pour rien que j’ai attendu mes 45 ans pour démarrer cette aventure. C’était un rêve de longue date mais j’ai préféré attendre que ma carrière soit bien établie avant de le concrétiser.
J’avais déjà fait plusieurs fois le tour de l’Europe et je ne crains vraiment pas d’être trop marquée par ce show. Je peux l’arrêter quand je veux…
Je ne vais jamais dire non à Beverly Jo Scott, jamais…
Au contraire pour «Planet Janis», je m’autorise le fait d’ajuster des dates à des périodes qui me sont plus favorables. C’est mon petit plaisir à moi ce concert… c’est ma fête (rires) !

Janis avait Big Brother & The Holding Company puis The Kozmic Blues Band. Toi, quel est ton Kozmic Blues Band, peux-tu me présenter les musiciens qui t’accompagnent sur cette tournée ?
Les musiciens qui sont à mes côtés, sur scène, sont : Slim Batteux (claviers & chœurs), Thierry Rombaux (basse), Gaëlle Mievis (chœurs), Fabrice Manzini (guitare, en remplacement de Jo Mahieu parti en tournée avec Arno) et Didier Fontaine (batterie, en remplacement de Yves Baibay parti en tournée avec Maurane). Les trois premiers cités sont avec moi depuis le début de l’aventure et m’ont accompagnée sur de nombreuses tournées et plusieurs albums. Les deux autres, bien que remplaçants, ont apporté leurs propres idées et leurs couleurs. J’ai d’excellents rapports avec mes musiciens, y compris ceux qui sont partis. «Planet Janis» est un spectacle amovible et extensible. Cela permet aux musiciens et aux invités d’être libres dans leurs faits et gestes. C’est un plateau au dessus de tout…

 

Si tu tiens à rendre hommage à la musique de Janis Joplin, tu mets un point d’honneur à l’imprégner de ta propre personnalité. Avec ton groupe, vous faites en sorte de «rhabiller» les morceaux…
Absolument, d’ailleurs je ne peux pas faire un truc sans y mettre ma «signature».
Ce n’est pas un spectacle durant lequel on imite Janis Joplin, je suis quelqu’un de créatif tout comme les gens avec lesquels je travaille.
Je ne ferais pas ce show sans Marie-Laure, ma vidéo-jockey, qui s’est occupée de tout le design visuel.
Le spectacle est un tout, je veux que les gens entrent dedans et se retrouvent à cette période (la deuxième partie des années 1960, nda) durant laquelle le visuel était tout aussi important que l’auditif.

Nous pouvons continuer de parler de l’aspect visuel car c’est une grande réussite. Les gens qui sortent du concert sont tous très étonnés par la mise en scène, y compris les artistes que je peux y croiser. Tous sont, également, conquis par la manière dont le plateau est aménagé…
Oui, j’en suis très contente !
C’est Michel Gudanski, mon associé et producteur depuis 20 ans, qui en a eu l’idée. Il est hyper créatif, parfois je me demande si c’est pas moi qui m’occupe du management et lui du côté artistique (rires) !
Il a beaucoup d’idées en ce qui concerne les décors, les éclairages et la manière dont nous devons nous habiller sur scène. C’est lui qui a créé l’ambiance du show…
Son frère, Marco, est notre ingénieur du son. Nous constituons une grande famille et nous nous adorons. Notre but commun est de réaliser le meilleur spectacle possible. Nous avons beaucoup de gratitude vis-à-vis du public car il est, de plus en plus, difficile de réussir à convaincre les gens de passer une soirée à un concert. L’économie est ce qu’elle est, ils doivent faire des choix…
J’ai un respect énorme pour mon public…
Je mets un point d’honneur à essayer de leur en mettre «plein la vue» et de donner tout ce que j’ai au fond de moi…

N’a-t-il pas été, pour toi, trop frustrant de devoir sélectionner quelques morceaux pour le disque puisqu’il ne représente pas le spectacle dans son intégralité. Comment as-tu choisi les morceaux qui figurent sur cet album de 74 minutes ?
C’était très dur, nous étions très frustrés…
Nous avons écarté les morceaux qui souffraient de «bugs techniques».
Au final, il y a une chanson que je regrette de ne pas voir figurer dans le disque. Il s’agit du gospel «Uncloudy Day» (immortalisé, notamment, par The Staple Singers en 1959, nda). J’espère, toutefois, l’inclure sur mon prochain album car je mets beaucoup de moi dans cette interprétation. Je me sers de mon passé et de ce qui était ma façon de vivre dans le sud des USA.

N’as-tu pas essayé, dans le cadre de ce spectacle, d’écrire une chanson pour elle… pour Janis ?
J’y ai longuement pensé et on m’a encouragé de le faire. J’ai décidé de décliner la chose par pudeur…
Puis le but du jeu était de ne pas faire de titres que Janis n’a pas pu entendre. C’était donc hors concours… Cela me soulage énormément (rires) !
Je mettrai une chanson sur les femmes comme elle sous une autre forme, dans un prochain disque.

Dans les plus jeunes générations, quelles sont les chanteuses de blues qui t’intéressent le plus ?
C’est difficile à dire car je n’écoute pas beaucoup de musique en ce moment. Je n’en ai pas vraiment le temps…
Les chanteuses que j’apprécie le plus sont Pura Fe’, Precious Bryant, des choses plus obscures…
J’adore Bettye LaVette, je l’ai vue il y a deux mois en première partie de Robert Plant et Lil’ Band O’ Gold à Mobile, Alabama. Elle n’avait que 35 ou 40 minutes pour s’exprimer, ce qui était court même si j’attendais impatiemment la prestation de Robert Plant. J’aurais pu payer 80 euros pour la voir elle seule…
J’aimerais être Bettye LaVette quand je serai grande, I love her (rires) !

Tu évoquais, tout à l’heure, un éventuel prochain album. Peux-tu me parler, plus précisément, de tes projets ?
J’écris, en ce moment, un monologue pour un prochain spectacle en solo. Je serai seule sur scène avec mes «gadgets», j’appelle cela un «almost one woman show». Cela me permettra de garder une porte ouverte si des invités souhaitent me rejoindre sur scène. J’écris «comme une folle» et j’utiliserai, aussi, des vidéos sur scène…
Je suis donc une «very busy girl» avec beaucoup de projets !

As-tu déjà essayé de jouer avec des boucles ?
Oui, bien sûr, j’étais une des premières artistes à utiliser des samples !
Au point de me faire traiter de «tricheuse» par certains. Je me disais «putain on est 8 sur scène à jouer comme des diables, on utilise quelques samples et on nous traite de tricheurs» !
Je me suis battue pour cela et, maintenant, les gens commencent à accepter cette nouvelle technologie.
J’ai toujours vécu, à plein, dans mon époque !

En venant du sud des USA, tu es forcément cataloguée dans un style musical précis. Ce doit être d’autant plus difficile pour imposer ta propre personnalité artistique et revendiquer ton amour pour la langue française…
Oui, ce n’est pas toujours évident…
Il y a deux ans, j’ai sorti un disque tout en français («Dix Vagues», Dixiefrog). Pour moi, cet album est une vraie perle. C’est mon disque que j’aime le plus depuis «Mudcakes» (1993)…
«Dix vagues» n’a pas été perçu, en France, comme je me l’imaginais. Au départ il a été boudé par les médias et ce n’est que maintenant que les gens y reviennent. En France, les artistes sont toujours «catégorisés» et il devient difficile de sortir de l’image que l’on a acquise à ses débuts.
Je peux comprendre la chose mais ce côté «artiste Flunch», ce n’est pas mon truc…
Il y aura toujours une partie de sud dans ma musique, c’est plus fort que moi. C’est ce que je fais le mieux donc il y aura toujours du blues et du gospel dans mes compositions. Cependant, je refuse de me figer dans une «image sonore» qui ne vit pas. Le blues vit et doit continuer d’évoluer !
Chez moi, la country music bouge et s’inspire de tout ce qui est nouveau. Il faut vivre avec son époque, ce n’est pas pour autant qu’on oublie ses racines…
Les français doivent évoluer et accepter que les artistes amènent des nouveautés…

C’est le grand paradoxe… Comme tu le dis, le blues n’a jamais cessé d’évoluer, pourquoi cela devrait-il s’arrêter maintenant ?
Je ne vais pas laisser faire cela. J’adore le disque «Dix Vagues», c’est mon chouchou…
Je marque le coup avec «Planet Janis» mais mon prochain opus sera, à nouveau, dans le plus pur style Beverly Jo Scott. Ce sera, toutefois, un disque en anglais…
Je continue de vivre la musique à ma façon, avec mes racines et mes références. Quoiqu’il en soit, je le fais avec sincérité et avec tout mon cœur.
On me retrouve toujours dans mes disques, toujours…

As-tu un souhait particulier pour l’avenir ?
Continuer d’avoir la santé, de jouer, de créer et de monter sur scène à travers l’Europe.
Mon grand rêve serait, d’ici quelques années, de faire venir mes amis musiciens d’Alabama. Ainsi nous pourrions réaliser un spectacle «BJ Scott & Friends»…
En ce moment, je suis en pleine période créative. Je me contente de promener mon «chez moi» jusqu’à ici…

As-tu une conclusion à ajouter ?
Ma conclusion est qu’il n’y a pas de conclusion pour le moment, «the futur is open» (rires) !

www.bjscott.com
www.myspace.com/beverlyjoscott

 
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Les liens :

bjscott.com
myspace.com/beverlyjoscott

Interview réalisée
Espace Dollfuss & Noack
de Sausheim
le 23 octobre 2010

Propos recueillis
par David BAERST

En exclusivité !


 

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